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Nietzsche, la politique, l'histoire

Colloque international de philosophie

Catégorie : conférence/cours/séminaire (spécialisé)
Date : 29/11/2022 09:30 - 30/11/2022 17:00
Lieu : UNamur - UCLouvain
Organisateur(s) : FNRS, Esphin & Arcadie (UNamur) et ISP (UCLouvain)

Programme

Jour 1 | 29 novembre 2022- Université de Namur – Salle académique

Ouverture du colloque

9h30 Nicolas Monseu (UNamur) :  Mots de bienvenue

Pieter De Corte (UCLouvain – Sorbonne Université) et Vivien Giet (UNamur – Université Paris 8) : Nietzsche face à l’histoire. Enjeux et problématiques d’une réception politique

Perspectives sur l'histoire

10h  Patrick Wotling (Université de Reims-Champagne-Ardenne) : La déraison instructive. Le rôle de l’histoire dans la tâche du philosophe selon Nietzsche

10h45 Paul Slama (FNRS – Bergische Universität Wuppertal): Psychologie et histoire chez Nietzsche et Weber

11h30 Pause

11h45 Jean-Claude Monod (École Normale Supérieure) : Quelle sortie des philosophies de l'Histoire ? Nietzsche et les religions de substitution

12h30 Pause midi

Critique et (post)modernité

14h Vivien Giet (UNamur – Université Paris 8) : Nietzsche, lecteur de Foucault et Deleuze : repenser la négativité en politique

14h45 Quentin Dubois (Université Paris 8) : Sémiotiques pulsionnelles : Klossowski, lecteur de Nietzsche 

15h30 Pause

15h45 Martine Prange (Tilburg University): Nietzsche and the Necessity of a new Truth Question in Post-Truth Times

16h30 Fin des travaux

Jour 2 | 30 novembre 2022 - Université catholique de Louvain – Sénat Académique

La politique nietzschéenne en question

10h Martin A. Ruehl (University of Cambridge): Nietzsche's New Order: Towards a Post-Christian Politics

10h45 Vanessa Lemm (University of Melbourne – Universidad Complutense de Madrid): Nietzsche’s Agonistic Politics Reconsidered

11h30 Pause

11h45 Pieter De Corte (UCLouvain – Sorbonne Université) : Nietzsche et le « temps des constructions cyclopéennes ». L’âge démocratique comme époque de transition

12h30 Pause midi

Penser les mutations historiques

14h00 Antoine Daratos (Université Libre de Bruxelles) : Mouvements et contre-mouvements : la question des transformations politiques chez Nietzsche

14h45 Daniele Lorenzini (University of Pennsylvania): Nietzsche’s Genealogical Perfectionism

15h30 Pause

15h45 Carlotta Santini (EHESS – CNRS) : Révolution et Réaction : paradigmes historiques comparés entre Nietzsche et Burckhardt

Conclusion du colloque

16h30 Pieter De Corte (UCLouvain – Sorbonne Université) et Vivien Giet (UNamur – Université Paris 8) : Nietzsche, la politique, l’histoire : conclusions et perspectives

Argument 

Cette manifestation scientifique a pour ambition d’éclairer le rôle de l’histoire dans la philosophie de Nietzsche, non seulement du point de vue de l’exégèse des textes et de l’histoire des idées, mais aussi de ses implications pour la philosophie de l’histoire et la théorie critique contemporaines. Il s’agira tout d’abord d’examiner les liens et les tensions existant entre la pensée de Nietzsche et la tradition des philosophies de l’histoire. Dès lors, nous serons également amenés à questionner la dimension politique de la pensée de Nietzsche et de son rapport à l’histoire, en particulier dans le cadre de sa réception théorique au cours du XXe siècle, et de sa contribution à l’élaboration de nouvelles généalogies critiques. Enfin, nous nous interrogerons sur l’utilité des outils conceptuels élaborés par Nietzsche pour la perception et l’analyse des dynamiques historiques et politiques contemporaines. Replacer la pensée de Nietzsche dans « l’histoire des idées de l’histoire », mettre en lumière sa dimension politique, et débattre de ses implications pour la philosophie contemporaine, telle seront les buts de ce colloque.

Dans toute son œuvre, Nietzsche s’attache à démontrer la nécessité d’une « philosophie historique »[1], expression débordant la seule élaboration d’une pensée de l’histoire pour toucher à la nature même du questionnement philosophique. La tradition philosophique a en effet longtemps opposé la philosophie à l’histoire[2]. Cette distinction classique opposant la connaissance de ce qui est singulier et contingent à la quête de « vérités éternelles » est récusée par Nietzsche, selon qui la réalité ne peut être conçue rigoureusement que sur le mode du devenir. C’est dans cet esprit que Nietzsche reproche régulièrement aux philosophes qui l’ont précédé leur ignorance « in historicis »[3], et leur incapacité à prendre la pleine mesure du caractère historique des réalités soumises à l’enquête philosophique : « Le manque de sens historique est le péché originel de tous les philosophes ; beaucoup, sans s’en rendre compte, prennent même pour la forme stable dont il faut partir la toute dernière figure de l’homme […]. Mais tout résulte d’un devenir ; il n’y a pas plus de données éternelles qu’il n’y a de vérités absolues »[4]. En définitive, affirme Nietzsche, « ce qui nous sépare le plus radicalement du platonisme et du leibnizianisme, c’est que nous ne croyons plus à des concepts éternels, à des valeurs éternelles, à des formes éternelles, à des âmes éternelles ; et la philosophie, dans la mesure où elle est scientifique et non dogmatique, n’est pour nous que l’extension la plus large de la notion d’“histoire” »[5].

« Les trois derniers millénaires », écrit Nietzsche, « continuent vraisemblablement à vivre aussi à notre proximité, avec toutes les nuances et toutes les irisations de leur civilisation : ils ne demandent qu’à être découverts »[6]. C’est parce que nous portons en nous des « niveaux de civilisation pétrifiés »[7] que la tâche la plus élevée à laquelle puisse se livrer le philosophe-historien est d’étudier « l’histoire des sentiments moraux »[8], « l’histoire de l’émergence »[9] des modes de connaissance, et donc fondamentalement l’histoire des valeurs[10]. On comprend ainsi que l’activité interprétative de la « philosophie historique » n’est pas seulement historique au sens où l’entend la délimitation traditionnelle des disciplines, mais aussi psychologique : elle est une histoire de l’« âme », de l’esprit, des idées et des sentiments[11]. L’homme n’étant pas une singularité ontologique distincte du règne naturel, mais un être vivant corporel inséré dans un milieu biologique, l’histoire des idées et des valeurs est aussi une histoire des « organismes »[12], c’est-à-dire du corps entendu comme un ensemble hiérarchisé de pulsions, déterminant la nature des différents types d’hommes et de cultures qui sont nés et se sont transformés au fil du temps. En ce sens, « l’histoire des sentiments moraux » est aussi une « histoire naturelle de la morale » définissant des typologies qui peuvent se combiner pour former des ensembles plus complexes.

Dès lors, le philosophe de l’avenir devra se faire le « disciple d’époques plus anciennes », et non le « fils du temps présent »[13]. Il lui reviendra, comme sa tâche propre, d’explorer les vastes continents du passé et du présent afin de rendre compte de la luxuriance historique des processus d’incorporation de valeurs, et ce dans le but de « préparer la sagesse consciente dont on a besoin pour le gouvernement du monde »[14]. Voilà la « grande question : où la plante “homme” a-t-elle poussé jusqu’ici avec le plus de splendeur ? L’étude historique comparative est nécessaire sur ce point »[15]. Pour désigner cette enquête sur les valeurs et les interprétations qui déterminent les subjectivités et façonnent des « types humains », Nietzsche finira par employer le mot de « généalogie », qui intègre son vocabulaire philosophique avec la Généalogie de la morale (1887), et traduit la double dimension de l’enquête philosophico-historique telle qu’il la conçoit : allier à la démarche descriptive et explicative une finalité d’évaluation critique permettant la hiérarchisation des valeurs, dans la perspective d’une action transformatrice sur la civilisation[16].

Le désir de constituer une « philosophie historique » et l’usage des outils généalogiques et interprétatifs élaborés par Nietzsche a marqué l’histoire de la pensée philosophique au XXe siècle laquelle n’est pas séparable de l’histoire du XXe siècle lui-même. Nietzsche sert alors de point d’appui à une série de diagnostics de la modernité dont on serait bien en peine de dresser ici un panorama exhaustif. On peut affirmer que ces tentatives ne perdent jamais tout à fait de vue les analyses sociologiques (Weber, Simmel) et existentiales (Heidegger) de la mort de Dieu. À l’évidence, un certain marxisme prendra ses jambes à son cou ou se perdra en malentendus profonds face à un tel agencement. Mais il est sans doute plus intéressant de saisir de quelle manière Nietzsche est venu perturber productivement cette tradition critique. C’est particulièrement le cas avec l’école de Francfort dont on sait qu’un des nœuds est le rejet d’une dialectique progressive. Nietzsche s’impose comme interlocuteur paradoxal dans le « triste savoir » constitué par la théorie critique[17]. Si on devait formuler le reproche qu’elle pose à son endroit, c’est en définitive que la cruauté qu’il porte bien légitimement sur l’étroitesse du monde bourgeois est dénuée d’appui matérialiste et dialectique pour véritablement alimenter une « tendance historique réelle »[18]. L’innocence des reprises françaises de Nietzsche tranche avec cette position. À la suite des travaux de Bataille et Klossowski, c’est précisément dans la mesure où elle ouvre des perspectives anti-hégéliennes féroces que la généalogie sera mobilisée. Tordue génialement, notamment par  Foucault, Mascolo ou Deleuze, elle alimentera les contre-histoires et les devenirs-minoritaires. Et même lorsque Nietzsche perd en ferveur révolutionnaire, il reste une arme majeure pour compliquer la trame de l’histoire, la gorger de différance ou de soupçon (Derrida, Ricœur). C’est au regard de ces interventions dans la pensée de l’histoire que Nietzsche s’impose comme un compagnon intempestif dont on n’a pas fini d’interroger l’in-actualité. C’est que, triste ou joyeux, un savoir nietzschéen pourrait encore bien nous servir de « contrepoison »[19].

 



[1] HTH, I, § 2.

[2] Cf. Aristote, Poétique, IX, 1451 b 2-11 ; A. Schopenhauer, Le Monde comme volonté et comme représentation, Suppléments, XXXVIII.

[3] AC, § 26 ; EH, III, « Le Cas Wagner », § 2.

[4] HTH, I, § 2.

[5] FP juin-juillet 1885, 38 [14]. Cf. FP avril-juin 1885, 34 [73] et FP juin-juillet 1885, 36 [2].

[6] OSM, § 223. Cf. FP fin 1876 – été 1877, 23 [48].

[7] OSM, § 223.

[8] HTH, I, titre de la deuxième section.

[9] HTH, I, § 16 ; A, § 1 ; PBM, § 192.

[10] GS, § 345.

[11] HTH, I, § 37 ; PBM, § 45.

[12] HTH, I, § 10.

[13] UIHV, Préface.

[14] FP été-automne 1884, 26 [90]. Cf. VO, § 189.

[15] FP avril-juin 1885, 34 [74].

[16] GM, Préface, § 6-7.

[17] L’expression est d’Adorno T.W., Minima Moralia : réflexions sur la vie mutilée, Payot, 2003.

[18] Adorno T.W., Horkheimer M., Gadamer H.-G., « Nietzsche et nous »,  dans Gadamer H.-G., Nietzsche l’antipode. Le drame de Zarathoustra, Paris, Allia, 2000.

[19] Astor D., Nietzsche. La détresse du présent, Paris, Gallimard, 2014.

 

Contact : Nicolas Monseu, Jean Leclercq, Pieter De Corte, Vivien Giet - +32 (0)81 72 40 94 - vivien.giet@unamur.be
Plus d'info : https://arcadie.unamur.be/events/colloque-international-nietzsche-la-politique-lhistoire
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