Séminaire #3 | Que faire de l’anachronisme ? L’histoire et les récits historiques à contretemps
Séminaire organisé par le Centre "Arcadie. Anthropocène, histoire, utopies" (UNamur) et le Centre Prospero (USL-B)
Date : 18/03/2022 14:30 - 18/03/2022 17:00
Lieu : Université de Namur, Faculté de philosophie et lettres, salle académique
Orateur(s) : Sébastien Schick (Université Paris I Panthéon-Sorbonne) et Laëtitia Riss (UNamur)
Organisateur(s) : Sébastien Laoureux et Laurent Van Eynde
"Le problème est d’arrêter avec exactitude la série des précautions à prendre, des prescriptions à observer pour éviter le péché des péchés – le péché entre tous irrémissible : l’anachronisme" (Lucien Febvre, Le problème de l’incroyance au XVIe siècle. La religion de Rabelais, 1942)
A l’encontre de la formule célèbre et déjà ancienne de Lucien Febvre, de nombreux auteurs se sont attachés depuis à montrer l’impossibilité pour l’historien d’éviter toute forme d’anachronisme, ou, mieux encore, l’intérêt intrinsèque d’une pratique contrôlée et volontaire de celui-ci. De telles perspectives n’ont sans doute pas, néanmoins, levé l’ensemble des questions cruciales qu’une telle notion suscite. Mais en-deçà de toute interrogation sur la façon dont l’anachronisme peut renouveler les perspectives épistémologiques du travail de l’historien, la question surgit d’abord sur la scène de l’histoire. Comment envisager, en effet, tel événement qui apparaît en rupture avec son temps ? Ou encore, comment envisager tel individu dont l’exceptionnalité semble le faire dissembler de son « époque » ?
Il est bien entendu toujours envisageable d’entrer dans un processus interprétatif visant à expliquer comment tel événement ou tel personnage passés « conviennent » avec leur temps. Comment, en d’autres termes, ils étaient bel et bien possibles. N’est-ce pas d’ailleurs une telle recherche des conditions de possibilité qui permet à la science historienne de s’élever au savoir et à la vérité ? L’histoire gagnerait de la sorte sa scientificité en figeant pour une part le temps et en reconduisant le possible à une logique de la « précursion ». Mais, paradoxalement, repousser toute forme d’anachronisme, n’est-ce pas aussi une façon de nier ce qui fait qu’il y a de l’histoire ? S’il y a de l’histoire se faisant, n’est-ce pas d’abord parce qu’il y a des femmes et des hommes qui ne ressemblent pas à leur temps, qui parlent et agissent en rupture avec la ligne de temporalité qui les met à leur place en leur imposant de dire et de faire de leur temps tel ou tel emploi (Rancière) ? L’attention au concept d’anachronisme nous invite peut-être en ce sens à libérer la rationalité historique de son alliance implicite avec les conditions de possibilités. Mais comment peut-on lier la vérité au temps sans passer par une telle catégorie ? Cela peut-il avoir un sens de s’intéresser à ce que l’on pourrait se risquer à nommer les « conditions d’impossibilité » de tel événement ou de tel individu – afin d’en pointer la singularité historicisante ? L’histoire n’y perd-elle pas sa scientificité ?
Que faire, dès lors, du concept d’anachronisme ? Et quels liens privilégiés un tel concept, entretient-il avec ceux de contingence, de singularité, d’événement, de nouveauté ou encore d’intempestif ? De quels enjeux est-il l’indice pour l’histoire savante ? Celle-ci, afin d’y être sensible, ne doit-elle pas se tourner aussi vers d’autres formes de récits historiques (littéraire, cinématographique,…) ? Ne convient-il pas, par ailleurs, de distinguer plusieurs types d’anachronisme ? Celui qui surgit sur la scène de l’histoire ? Mais aussi celui que provoque l’historien en mettant en rapport un moment du passé et le présent où il se situe – avec l’objectif de mettre au jour une continuité sous-jacente entre ces moments historiques (Benjamin) ? Bref, en compliquant une conception de l’histoire homogène, nécessaire et orientée dans le sens d’un progrès continu, l’anachronisme nous invite peut-être à prêter une attention accrue à des temporalités multiples aux croisements imprévus, tout comme aux formes d’écriture qui peuvent les rendre intelligibles. Il nous invite, sans nous détourner des questions épistémologiques redoutables qu’elle pose, à réfléchir au sens d’une théorie critique de l’histoire portant attention aux temporalités hétérogènes et aux divers variations historiques.
Programme 2021-2022
-26 novembre 2021: Jean-Baptiste Vuillerod (UNamur/Université Paris Nanterre) : « Les anachronismes du progrès : de la philosophie de l'histoire à l'écologie politique ».
-18 février 2022 : Louis Carré (UNamur/FNRS) : « "Une salle d'attente imaginaire". La critique post-coloniale du progrès et l'anachronisme comme "déni de contemporanéité" ».
-18 mars 2022 : Sébastien Schick (Université Paris I Panthéon-Sorbonne) : « Peut-on se passer de l’anachronisme ? Sur les usages historiens d’une pratique interdite » et Laëtitia Riss (UNamur) : « L’anachroniqueur : un nouvel écrivain d’Histoire ? »
Toutes les séances ont lieu de 14h30 à 17h. Le séminaire est destiné à se prolonger l’année académique
prochaine.
Contacts : sebastien.laoureux@unamur.be et laurent.vaneynde@usaintlouis.be
Contact :
Sébastien Laoureux
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00 32 81 72 40 89
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sebastien.laoureux@unamur.be
Plus d'info :
https://arcadie.unamur.be/
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