Sur les traces d’Einstein ! Anciennes théories, nouvelles perspectives...
De la lumière pénétrant un matériau à faible indice de réfraction passe sans interagir avec les atomes qui le constituent
Une équipe internationale de physiciens dirigée par le Dr Michaël Lobet chargé de cours à l’UNamur réexamine les fondements de la physique quantique du point de vue de la quantité de mouvement dans la prestigieuse revue Nature Light Science & Applications. Les chercheurs ont investigué ce qui se passe lorsque cette quantité de mouvement est réduite à zéro. Et il se passe des choses intéressantes ! Explications.
This article is available in English here...
Les métamatériaux à faible indice de réfraction offrent un nouvel éclairage sur les fondements de la mécanique quantique. En physique, comme dans la vie, il est toujours bon de regarder les choses sous différents angles. Depuis les débuts de la physique quantique, la façon dont la lumière se déplace et interagit avec la matière qui l'entoure a principalement été décrite et comprise mathématiquement à travers le prisme de son énergie. En 1900, Max Planck a utilisé l'énergie pour expliquer comment la lumière est émise par des objets chauffés, une étude fondamentale qui a jeté les bases de la mécanique quantique. En 1905, Albert Einstein a utilisé l'énergie pour introduire le concept de photon.
Mais la lumière possède une autre qualité, tout aussi importante : sa quantité de mouvement. Et si on la contraint, la lumière commence à se comporter de manière très intéressante. Une équipe internationale de physiciens dirigée par le Dr Michaël Lobet, chercheur associé à la Harvard John A. Paulson School of Engineering and Applied Sciences (SEAS), chargé de cours à l’UNamur, et le professeur Eric Mazur, titulaire de la chaire Balkanski de physique et de physique appliquée à la SEAS, réexamine les fondements de la physique quantique du point de vue de la quantité de mouvement. Les chercheurs ont investigué ce qui se passe lorsque la quantité de mouvement de la lumière est réduite à zéro. Cette recherche est publiée dans la revue Nature Light Science & Applications.
Tout objet ayant une masse et une vitesse possède une quantité de mouvement - des atomes aux balles en passant par les astéroïdes - et la quantité de mouvement peut être transféré d'un objet à un autre. Un pistolet recule lorsqu'une balle est tirée, car la quantité de mouvement de la balle est transférée au pistolet. À l'échelle microscopique, un atome recule lorsqu'il émet de la lumière en raison de la quantité de mouvement acquise par le photon. Le recul atomique, décrit pour la première fois par Einstein lorsqu'il écrivait la théorie quantique du rayonnement, est un phénomène fondamental qui régit l'émission de lumière.
Mais un siècle après Planck et Einstein, une nouvelle classe de métamatériaux soulève des questions concernant ces phénomènes fondamentaux. Ces métamatériaux ont un indice de réfraction proche de zéro, ce qui signifie que lorsque la lumière les traverse, elle ne se déplace pas comme une onde en phases de crêtes et de creux. Au contraire, l'onde est étirée à l'infini, créant une phase constante. Lorsque cela se produit, de nombreux processus typiques de la mécanique quantique disparaissent, y compris le recul atomique. Pourquoi ? Encore la quantité de mouvement. Dans ces matériaux dits à faible indice de réfraction, la quantité de mouvement de la lumière devient nulle et lorsque la quantité de mouvement de l'onde est nulle, et des choses étranges se produisent.
"Les processus radiatifs fondamentaux sont inhibés dans les matériaux tridimensionnels à faible indice de réfraction ", explique Michaël Lobet. "Nous nous sommes rendus compte que la quantité de mouvement de recul d'un atome est empêchée dans les matériaux à indice de réfraction proche de zéro et qu'aucun transfert de quantité de mouvement n'est permis entre le champ électromagnétique et l'atome. Nous avons également constaté qu’aucun effet Doppler ne se produit dans ces matériaux."
Comme si le fait d'enfreindre l'une des règles d'Einstein ne suffisait pas, les chercheurs ont également enfreint l'expérience peut-être la plus connue de la physique quantique, à savoir l'expérience de la double fente de Young. Cette expérience est utilisée dans les salles de classe du monde entier pour démontrer la dualité particule-onde en physique quantique - montrant que la lumière peut présenter des caractéristiques à la fois d'ondes et de particules.
Dans un matériau donné, la lumière, passant par deux fentes, produit deux sources d'ondes cohérentes qui interfèrent pour former un point lumineux au centre de l'écran avec un motif de franges claires et sombres de part et d'autre, appelées franges de diffraction.
"Lorsque nous avons modélisé et calculé numériquement l'expérience de la double fente de Young, il s'est avéré que les franges de diffraction disparaissaient lorsque l'indice de réfraction était réduit", a déclaré la co-auteure Dr Larissa Vertchenko, de l'Université Technique du Danemark.
"Comme on peut le constater, ces travaux interrogent les lois fondamentales de la mécanique quantique et sondent les limites de la dualité onde-corpuscule", ajoute le co-auteur Dr Iñigo Liberal, de l'Université Publique de Navarre à Pampelune, Espagne. Si certains processus fondamentaux sont inhibés dans les matériaux dont l'indice de réfraction est proche de zéro, d'autres sont renforcés. Prenez un autre phénomène quantique célèbre : le principe d'incertitude d'Heisenberg, plus connu en physique sous le nom d'inégalité d'Heisenberg. Ce principe stipule que vous ne pouvez pas connaître, avec une précision parfaite, deux caractéristiques d’une particule à la fois, à savoir la position et la vitesse de la particule. Plus vous en savez sur l'une, moins vous en savez sur l'autre. Or, dans les matériaux à faible indice de réfraction, vous savez avec 100% de certitude que la quantité de mouvement d'une particule est nulle, ce qui signifie que vous n'avez absolument aucune idée de l'endroit où se trouve la particule à un moment donné dans le matériau.
"Ce matériau ferait un très mauvais microscope, mais il permet d'occulter les objets de manière assez parfaite", nous dit le Dr. Lobet. En quelques sorte, ils deviennent invisibles.
"Ces nouveaux résultats théoriques jettent un nouvel éclairage sur la photonique à indice de réfraction proche de zéro du point de vue de la quantité de mouvement", explique le Pr Eric Mazur. "Ils permettent de mieux comprendre les interactions lumière-matière dans les systèmes à faible indice de réfraction, ce qui peut être utile pour les applications laser et de l'optique quantique."
Cette recherche pourrait également faire la lumière sur d'autres applications, notamment l'informatique quantique, des sources de lumière qui émettent un seul photon à la fois, la propagation sans perte de lumière dans un guide d'ondes, etc. L'équipe a l'intention de réexaminer d'autres expériences quantiques fondamentales dans ces matériaux. Après tout, même si Einstein n'a pas prédit de matériaux à indice de réfraction proche de zéro, il a souligné l'importance de la quantité de mouvement. Dans son article fondamental de 1916 sur les processus radiatifs fondamentaux, Einstein insistait sur le fait que, d'un point de vue théorique, l'énergie et la quantité de mouvement "doivent être considérées sur un pied d'égalité totale, puisque l'énergie et la quantité de mouvement sont liées de la manière la plus étroite possible".
"En tant que physiciens, c'est un rêve de suivre les traces de géants comme Einstein et de pousser leurs idées plus loin", nous confie Michaël Lobet. "Nous espérons pouvoir fournir un nouvel outil que les physiciens pourront utiliser ainsi qu’une nouvelle perspective, qui pourrait nous aider à comprendre ces processus fondamentaux et à développer de nouvelles applications."
Contact :
Michaël Lobet
-
michael.lobet@unamur.be
Plus d'info :
https://www.nature.com/articles/s41377-022-00790-z