Vers une justice basée sur la reconnaissance
De gauche à droite: Yves Poullet, Paul Renier, Paul Martens, Jean-Pierre Lebrun, Laurent De Briey et Jacques Lenoble
L’Association des Juristes Namurois (AJN) a organisé un colloque sur le thème de la reconnaissance dans ses rapports avec le droit en décembre dernier. A la base de cette initiative, l’envie de montrer le glissement qui s’opère d’une justice traditionnellement conçue autour d’une répartition équitable des richesses, vers une justice qui se réaliserait davantage au travers d’une satisfaction des attentes de reconnaissance ou, du moins, d’une égale possibilité d’être reconnu.
Cette problématique, qui ranime la question : « qu’est-ce que le droit ? », est le cheval de bataille d’Axel HONNETH, philosophe et sociologue, directeur de l’Institut für Soziale Forschung de Francfort où il fut l’assistant de Jürgen HABERMAS.
Pour entrer en débat avec ce philosophe, l’AJN avait invité cinq orateurs dont les exposés retinrent, durant trois heures, l’attention d’un auditoire captivé. Paul Renier, avocat spécialisé en droit de l’agriculture, avait choisi d’ouvrir le débat en donnant une illustration du jeu de la reconnaissance et de ses opposés, l’indifférence, le mépris et les attitudes « réifiantes », au travers du malaise éprouvé par les agriculteurs soumis à une règle de plus en plus envahissante entre eux et la terre. Son exposé était suivi d’une réflexion de Laurent de Briey, professeur au Département de Sciences sociales et politiques de la Faculté des Sciences sociales et de gestion. Inspiré par la crainte de voir les attentes de reconnaissance basculer vers l’idéal nocif d’une égale reconnaissance, le professeur de Briey s’est attacher à montrer l’importance d’une distinction des trois « sphères de reconnaissance » et des formes de reconnaissance qu’elles offrent : confiance en soi, respect de soi, estime de soi. Jacques Lenoble, professeur de philosophie du droit à l’Université de Louvain, a proposé pour sa part une réflexion sur les limites de la démarche épistémologique privilégiée par la théorie de la reconnaissance d’Axel Honneth, dans laquelle il voit une approche du droit mentaliste, fondée sur le présupposé critiquable que la société serait capable de s’auto-transformer en fonction des exigences de la raison. Pour le professeur Lenoble, « La possibilité du droit à se réaliser effectivement dépend plutôt à la fois de l’usage qui en est fait par ceux qui ont charge de l’appliquer et de sa construction coopérative par tous les acteurs concernés ». Une possibilité mise en doute par Jean-Pierre Lebrun, psychanalyste, qui a montré, dans la ligne de ses passionnants ouvrages, le désarroi et la confusion que peuvent cacher les attentes de reconnaissance en les mettant en rapport avec la chute du patriarcat. Paul Martens, président honoraire de la Cour constitutionnelle, a mis sa belle faculté de synthèse au service d’une conclusion nuancée, inspirée par le souci de la personne et du cas concrets.
Ce colloque, auquel l’attentat contre la rédaction de Charlie HEBDO a donné moins d’un mois plus tard un bien tragique écho, fut également l’occasion d’un touchant hommage du recteur Yves Poullet au regretté professeur Jacques Baufay, dont les cours d’introduction à la philosophie ont marqué de nombreux étudiants en droit.
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Marie-Amélie Delvaux
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