Un jeune chercheur namurois publie dans la très prestigieuse revue « Science »
Le mouvement de l’eau modifie la chimie en surface des matériaux immergés. C’est ce que vient de démontrer, Dan Lis, physicien à l’Université de Namur qui a bénéficié d’une collaboration avec l’institut Max Planck à Mainz, Allemagne) dans un article publié dans la prestigieuse revue « Science ». Une découverte plus qu’intéressante qui permet de mieux comprendre l’interaction des matériaux avec l’eau et remet en question l’interprétation de nombreux modèles scientifiques, notamment géologique, basés essentiellement sur des eaux stagnantes.
Plongez un bloc de sel dans de l’eau, si vous les mélangez, il se dissoudra plus vite. En effet, l’eau qui enveloppe le bloc est continuellement remplacée par de l’eau fraîche, évitant toute saturation locale de l’eau en sel et permettant une dissolution optimale. A une échelle de temps plus longue, il en va de même pour la matière minérale, comme la silice, composé oxydé qui constitue 60% de la croûte terrestre. « Le fait de mettre de l’eau en écoulement ou de l’arrêter change en quelques secondes et de manière réversible, la composition chimique du matériau à sa surface mais également celle de l’eau environnante» explique Dan Lis, chargé de recherche FNRS au centre PMR (Centre de Recherche en Physique de la Matière et du Rayonnement). Mais ce qu’il a surtout démontré avec ses collègues allemands, c’est que ce changement conduit à une relation entre l’écoulement de l’eau sur ces surfaces et la charge électrique de celles-ci.
Explications : La majorité des minéraux et roches possèdent une charge électrique à leur surface C’était déjà connu. En effet, les molécules constituant le matériau à sa surface subissent régulièrement des cassures de par l’interaction avec leur environnement (oxydation, dissolution,…). Ces molécules se divisent alors en deux fragments, un libre et un attaché à la surface, qui ont généralement des charges électriques opposées. Le fragment lié étant chargé, le matériau acquière une charge électrique statique à sa surface.
Grâce à des travaux de recherche d’extrême interface, c’est-à-dire qui sondent les premiers nanomètres (en-dessous de 10 nanomètres) qui entourent la surface des matériaux, les chercheurs ont constaté de façon totalement inopinée que le mouvement de l’eau favorise la fragmentation des molécules de surface. Au final, l’écoulement du liquide modifie la chimie à la surface du matériau immergé et change sa charge électrique de surface. « Or, cette charge électrique régit complètement le monde moléculaire autour de la surface à l’échelle nanométrique, et par conséquent la réactivité chimique et les mécanismes d’interaction physique», explique Dan Lis.
Il y a plus : selon la physique, lors de son écoulement, l’eau en contact direct avec la surface à l’échelle nanométrique est en fait immobile : c’est «la condition de non-glissement ». Ce n’est que plus loin de la surface que les couches d’eau glissent successivement les unes sur les autres pour finalement donner sa vitesse au liquide. Comme l’eau est en mouvement, ces couches sont rafraîchies. Donc, même s’il est impossible de déplacer la première couche d’eau adjacente à la surface, un changement de composition chimique peut s’y opérer de par son interaction avec les couches suivantes. De plus, l’eau étant une molécule polaire (neutre électriquement, elle possède néanmoins une charge électrique opposée d’un côté et de l’autre), elle va s’aligner collectivement à la surface d’un matériau chargé et former un réseau très organisé. Dès lors, bien que le liquide en écoulement soit incapable de déplacer l’eau en surface, le changement de charge électrique du matériau induit par le mouvement de l’eau change indirectement l’alignement global des premières couches d’eau et leur organisation. «De manière assez amusante, pour un matériau bien choisi, l’écoulement d’eau permet même d’inverser la charge électrique de surface et donc de retourner les molécules d’eau adjacentes. Cela offre des perspectives potentielles en nanotechnologies puisque l’on peut changer l’interaction entre les molécules environnantes, l’eau et le matériau».
Ces travaux de recherche pourraient également avoir des répercussions importantes sur la compréhension et l’interprétation de mécanismes liés à la physique et à la (géo-) chimie des surfaces et notamment sur la compréhension de l’évolution de la Terre où le rapport entre l’eau et la matière est omniprésent. Si on étudie par exemple les océans, on constate que les émissions massives de CO2 ont fait augmenter l’acidité de ceux-ci passant de pH 8.2 à pH 8.1 depuis l’ère industrielle. Des modèles scientifiques, basés sur une science de surface statique, prévoient qu’en 2100, le pH sera de 7.8 avec des conséquences dramatiques pour le monde minéral marin puisque coquillages et coraux seraient dissous ! Mais ces modèles se basent sur une eau statique… or les travaux de Dan Lis montrent que le mouvement de l’eau modifie la composition chimique proche de la surface et produit les mêmes effets qu’une augmentation de l’acidité jusqu’à 2 unités de pH … Qu’en est-il alors du monde océanique en mouvement ? Les modèles actuels, basés sur une science de surface statique, vont certainement devoir être adaptés pour prendre en considération ce nouveau paramètre.
Une collaboration avec l’institut Max Planck pour percer les mystères de la matière
La recherche d’extrême interface nécessite des moyens importants. Il s’agit d’extraire sélectivement de l’information à quelques nanomètres autour de la surface immergée. « C’est comme vouloir étudier le dernier centimètre du fond marin en regardant l’océan d’en haut et à travers plusieurs kilomètres d’eau. » Pour ce faire, une méthode de caractérisation ultra sélective aux interfaces est utilisée : la spectroscopie par génération de fréquence somme (SFG). Son application nécessite cependant des lasers extrêmement coûteux. «J’ai eu la chance de pouvoir utiliser l’équipement laser de pointe du Professeur Mischa Bonn (directeur du Max-Planck Institute) et de bénéficier d’une très haute expertise des membres de son équipe. Grâce à ce soutien j’ai pu retirer ces observations extrêmement localisées dans l’espace et atteindre une interprétation du phénomène très détaillée», explique Dan Lis.
Ces résultats très prometteurs ne sont qu’une première étape dans ce projet de recherche : « Etant physicien, je m’intéresse plus particulièrement à la physique s’opérant aux interfaces, comme la mécanique des fluides. La recherche est cependant comme de l’eau qui court… il est souvent difficile de prévoir ses aboutissants… Et ici il semblerait qu’ils soient plutôt orientés vers la chimie ! », conclut Dan Lis.
Contact :
Dan LIS
-
+32 (0)81 72 47 12
-
dan.lis@unamur.be