Sections
Accueil UNamur > Nouvelles > Décryptage d'un monde sans sexe. Des chercheurs namurois publient dans la prestigieuse revue "Nature"
Nouvelle

Décryptage d'un monde sans sexe. Des chercheurs namurois publient dans la prestigieuse revue "Nature"

Content Image

Adineta vaga, rotifère bdelloide dont le génome a été séquencé. Crédits : Boris Hespeels, doctorant dans le laboratoire de Karine Van Doninck à l’Université de Namur (Belgique)

Un consortium international codirigé par Karine Van Doninck de l’Université de Namur et Olivier Jaillon du Genoscope (France) a réussi à séquencer et à analyser le génome d’un rotifère bdelloide. Ces organismes extraordinaires présentent des capacités de survie exceptionnelles à de nombreux stress (perte totale d’eau, radiations, …) et ont abandonné la reproduction sexuée depuis des millions d’années. Les résultats de cette étude publiée dans la célèbre revue "Nature", révèle aujourd’hui une structure génomique incompatible avec la reproduction sexuée ainsi que des stratégies pour éviter les conséquences délétères de l’asexualité.

Pourquoi la reproduction sexuée a été sélectionnée ?

La reproduction sexuée est communément reconnue comme le mode de reproduction dominant dans le monde animal. Elle favorise la diversité d’une espèce par le brassage du matériel génétique des différents individus y appartenant et permet à une espèce de pouvoir continuer de survivre dans un monde en perpétuel changement. L'abandon de la reproduction sexuée empêche tout organisme de pouvoir continuer à développer des combinaisons génétiques favorisant sa survie à long terme. La reproduction sexuée présente également l’avantage d’éliminer les mutations délétères qui peuvent s’accumuler lors des multiples divisions cellulaires. Lors de la fabrication des gamètes, les chromosomes homologues (d’origine paternelle et maternelle)  de la cellule doivent s’aligner face à face. Un processus cellulaire permet ensuite d’obtenir de nouveaux chromosomes contenant un mélange aléatoire de gènes d’origine paternelle et maternelle. Si un gène paternel était initialement défectueux, il pourra éventuellement être remplacé par le gène maternel qui était fonctionnel sur le chromosome homologue. En l’absence de sexe, toute mutation acquise ne peut être réparée et au fil des générations le génome accumulant les mutations dégénère. Ainsi, l’abandon du sexe chez les animaux a été considéré comme un cul de sac évolutif par les scientifiques.

Scandale dans l’évolution : Un monde sans sexe !

Cette hégémonie du sexe dans le monde animal fut cependant mise à mal par la découverte des rotifères bdelloides. Ces organismes pluricellulaires à peine détectable à l’œil nu sont communs à la surface du globe et habitent les habitats éphémères, comme les mousses et les lichens, ou d’autres habitats extrêmes, comme sur les glaces de l’antarctique. Parmi les centaines d’espèces observées aujourd’hui, les scientifiques ont pu mettre en évidence une absence totale de mâles dans des populations de femelles qui se reproduisent sans fécondation. Ce mode de reproduction asexué, appelé parthénogenèse, avait déjà été observé chez certaines espèces de lézards ou de poissons, mais il était généralement ponctuellement interrompu par des cycles sexués. La découverte de fossiles vieux de quarante millions d’années ne permit pas de trouver de mâles chez les bdelloides. L’hypothèse d’une asexualité ancienne chez les rotifères bdelloides allait ainsi rester, jusqu’à aujourd’hui, un mystère pour les scientifiques qui qualifièrent ces derniers de « scandale de l’évolution ».

Quand génome et sexe ne sont plus compatibles !

L’énigme des bdelloides vient aujourd’hui d’être résolue par le séquençage complet du génome d’une espèce de bdelloide, Adineta vaga, grâce à un projet international initié il y a cinq ans par Karine Van Doninck, jeune professeure à l’Université de Namur en collaboration avec Olivier Jaillon du Genoscope. Les chercheurs ont traqué les signatures de présence ou d’absence de sexe à l’intérieur même du génome dont les résultats sont aujourd’hui publiés dans la prestigieuse revue scientifique « Nature »

Durant son postdoctorat à l’Université de Namur, Jean-François Flot, biologiste et bioinformaticien, a réussi à mettre en évidence une structure atypique de génome permettant de mettre en évidence l’absence irréfutable de reproduction sexuée chez les bdelloides. « Chez Adineta vaga, on n'observe pas de similarités structurales complètes entre les deux chromosomes de chaque paire. Un chromosome donné peut même porter les deux versions d'un même gène ! » observe Jean-François Flot. « Cette structure particulière du génome est incompatible avec l’étape de formation des gamètes permettant une ségrégation équitable du matériel génétique. C’est la première preuve génétique que les rotifères Bdelloïdes sont asexués. Une première qui permettra peut-être d’identifier d’autres organismes asexués » se réjouit Karine Van Doninck. Le modèle de réarrangement génomique trouvé lors de cette étude se retrouve dans 2 à 3 % des cellules cancéreuses, confirmant que ces réaménagements se font lorsque les cellules se divisent de manière mitotique.

Vivre sans sexe ou les pirates de génomes

Si la structure du génome décodée a permis de confirmer l’absence de sexe chez les rotifères bdelloides, il reste encore à comprendre comment ceux-ci font pour survivre en l’absence de ce mode de reproduction. Le séquençage du génome permet déjà de fournir quelques pistes de réflexion. Environ 8 % des gènes d'Adineta vaga proviennent de bactéries, de champignons ou de plantes. C'est de loin le pourcentage le plus élevé parmi tous les organismes actuellement séquencés. Adineta vaga aurait ainsi pu compenser l’absence de sexe en « piratant » des gènes d’autres organismes et en s’appropriant un arsenal génétique d’autres espèces. L’accumulation de mutations délétères observée théoriquement chez les individus asexués semble être ici fortement diminuée par un mécanisme appelé « conversion génique ». Par un processus encore non caractérisé, Adineta vaga est capable de corriger un gène sur base d’un gène similaire présent à un autre endroit du génome. La fréquence de ces corrections, dix fois supérieure au taux d’apparition de mutations chez Adineta vaga, permet de conserver un génome fonctionnel.